L’appart’ sent le gaz.

En principe, ça n’a pas d’odeur et ce serait un abus de langage de s’le dire ainsi, mais l’essentiel est le fait que vous ayez cerné l’idée. Présentement, je suis supposée évacuer parce que je risque hypothétiquement de détoner, comme une guenille taille trente que j’aurai enfilé sans douceur —ce n'serait pas aesthetic.

Et donc, j’suis bloquée.

Enfin, j’peux bouger, mais je suis étrangère au sang-froid, même si j’suis complètement figée à l’heure actuelle. Là y’a des tas de pensées qui se bousculent dans ma tête ; ça surchauffe et ça hurle comme une foule de monde s’empressant dans un magasin à la première heure d'un Black Friday.

Là, mon cerveau disjoncte et m'intime d'accourir jusqu'à la bonbonne responsable de la fuite d'exhalaisons. J'm'en doutais : elle est ouverte. J'fais pas assez gaffe, je suis une catastrophe ambulante. J'ai la fâcheuse manie de faire trop de choses en même temps et, à terme, j'me rends toujours compte que je n'ai finalement pas entamé les trois quarts de ce que je faisais.

— A-ah... ahaha ! super !

J'parie que mon rire sonne horriblement nerveux. J'le déduis, puisque je ne m'entends même pas me lamenter, et c'est sacrément triste.
 
Ne pas allumer de lumières. Eviter tout c'qui se rapproche de près ou de loin à de l'électricité. Aérer. Ça devrait aller. On va éviter de tout perdre alors qu'on vient tout juste d'emménager, O.K. Rosie ?

Et maintenant...

J'devrais avertir le voisinage, parce qu'on n'est jamais assez prudente.

Je m'empare d'un morceau de papier et j'y griffonne avec la dextérité d'un tuyau d'arrosage quelques mots. J'attrape du scotch. Je me rue dans les escaliers que je m'empresse de dévaler, et me précipite aussitôt jusqu'à l'entrée de la résidence.

— Ça devrait suffire...

Absolument pas.

J'vais devoir faire du porte-à-porte.

J'ai horreur de ça. J'aime pas le voisin du deuxième et ça m'arrangerait qu'il décède dans un accident que je n'aurai même pas pris la peine de maquiller.

Et donc, j'suis à nouveau bloquée au rez-de-chaussé, la clé en main devant la serrure de l'entrée.

Dire que la journée ne se passe pas comme prévu serait un euphémisme : c'est une catastrophe. On va pas se se chercher davantage d'excuses : je ne sais pas gérer ma propre vie —révélation particulièrement cocasse, quand on sait que j'ai tendance à me mêler de celle des autres.

Cette pensée m'arrache une grimace... pensée de laquelle une sorte de zombie agonisant —ça aussi c'est marrant— m'extirpe.

Je ne l'ai pas du tout vue venir. J'en reste bouche-bée, à la fois estomaquée et... dubitative... ?

— Qu'est-ce que vous...

Je me coupe net.

C'est une sensation étrange qui m'envahit.

Dans la panique, je n'ai pas fait attention... mais... je n'ai plus de voix. Enfin... je ne suis pas aphone... mais...

Je tends l'oreille : je n'entends rien. Absolument rien. C'est le néant.

Mes yeux vont sortir de leurs orbites.

Ils s'affaissent avec tragédie sur le corps de la femme qui s'acharne sur la porte, Odin-sait-pourquoi.

— A-aah... attends... que...

Je suis complètement décontenancée. Je sens les mots se former, s'exprimer, mes poumons ne font pas la grève et il en va de même pour mes cordes vocales.

— Wow... ouh là..., je tonne, probablement sur un ton bien trop élevé.

Est-ce que c'est là une énième punition d'Odin parce que j'ai volé un morceau de la tarte d'un inconnu lambda, tantôt ? Ou serait-ce lié à la chute que j'ai faite avant de rentrer ? Quoiqu'il en soit, j'ai là deux autres problèmes : cette femme, qui me fait peut être un malaise... et ma surdité.

Je commence par l'aider à se relever, ce sera ça de fait.

— Ça va ? beugle-je. Pas bobo ?

J'essaie de comprendre moi-même ce que j'dis.

Je la dévisage des pieds à la tête ; je n'ai pas encore capté que le colis me revient.

— Je suis tombée sur la tête c'est pas possible je ne sais même pas si je vous parle ou si je vous crie dessus...

C'est troublant, parce que j'ai juste l'impression de penser, sans parler... tout en parlant... quel est ce genre de sorcellerie ?