musique •••Quatrième cigarette sur mes lèvres. Et je ne fume que lorsque je suis prodigieusement… Je ne sais pas. Je crois que je n’ai pas les mots pour décrire le cataclysme dans ma vie, actuellement. Ce doit être une mauvaise blague. Un rêve apparemment très réaliste. Une fantaisie de mon inconscient. Coincé devant mon miroir, dans une chemise ample sur une poitrine somme toute timide. Et incroyablement modeste qui ne devrait pas dépasser le B. Et encore. Je soupèse ma poitrine que j’aurais imaginé plus leste.

Non. Je n’imaginais pas.

J’étais très satisfait de ma condition d’homme et la délicatesse de ce corps ne m’est pas suffisamment familière. Moi qui était si fier de ma condition physique, la finesse actuelle de mes bras me sidère quelque peu. Comment voulez-vous que je parvienne à maîtriser un homme là-dedans !

Heureusement. Je suis saisissante. Je veux dire. Saisissant au féminin. Peut-être qu’ils se laisseront plus facilement attraper. J’ai de longs cils, des hanches saillantes, un bouche pulpeuse. Vraiment, je suis si Belle.

Non. Je suis Beau. Et je ne veux vraiment pas terminer ma vie ainsi. J’écrase ma cigarette contre le cendrier sur le lit, récupère une nouvelle cigarette, en remontant un peu plus mon boxer qui ne semble pas encore capable de s’adapter à mes courbes. Je range le paquet dans ma poche. Ma main tremble un peu sur la pierre. Peut-être que je suis possédé(e). Ou maudit(e). Probablement un peu des deux. Ah. Ah. Ah. Je n’ai pas la moindre envie de changer mes habitudes. Mon rituel. De quoi aurais-je l’air avec un couteau dans les mains. Pourrais-je les prendre de haut ? Mes dents mâchonnent le bout de ma cigarette.

C’est peut-être un rêve. Oui. Un rêve. Et je vais me réveill-

Ma porte s’ouvre. Je tourne la tête. Je vois un Aedan … Définitivement nu pénétrer chez-moi. Alors que je suis presque certain(e) que je ne lui ai pas donné mon adresse. Rictus sur mes lèvres. Ce n’est définitivement pas un rêve. Mon inconscient ne me ferait pas cela, à la limite il m’enverrait un double de moi. Et non un loup incendiaire et très roux. Définitivement roux.

Qui se trouve dans l’impossibilité de se vêtir. D’après lui. Mais qu’est-ce que c’est que cette farce ! Et de nouveau il hésite, semblant se demander comment me nommer. Je suis presque dépité(e).
Aedan… Je suis... Je commence. Sans pour autant parvenir à me faire entendre. Aedan. Mon pied nu tapote le sol et je récupère ma cigarette entre mes doigts d’agacement je pourrai tapoter la cendre sur son phallus, lui qui aime tant le feu. Oh, je crois que ce n’est vraiment pas exclu. Et peut-être qu’il daignera m’accorder l’attention que je mérite, cette fois. Je me rapproche tandis qu’il continue de parler, comme ces enfants qui ne savent pas se concentrer suffisamment pour paraître cohérent. Mais il attrape mon poignet et parle comme s’il savait réellement qui pourrait nous sauver. Je suis absolument, positivement suspicieux(se). Et je dis de manière fort peu élégante : Hein ?


Qu’est-ce qu’on vient FAIRE dans une cathédrale. Je dis, convaincu(e) que ce n’est pas le moment de prier pour notre salue. Nouvelle silhouette, inconnue, ou peut-être observée distraitement. Je dégage mon poignet de sa main – si menu, si menu, faites que ce soit un mauvais rêve. Je ne sais pas si nous sommes possédés, mais un exorcisme ne me paraît pas plus absurde que tout le reste.

– Je ne peux pas rester une femme aussi plate, prêtre. Fais vite ton office et délivre nous du mal. Et si c’est un démon je connais déjà son nom.

musique ••• De l’orgue résonne dans la cathédrale, des sons chaotiques pour souligner  un peu plus l’étrange histoire dont nous sommes les malheureux protagonistes. Je porte un œil critique sur cet homme pâle, qui déclame, le drame inscrit dans chacun de ses gestes, à notre attention un étrange poème qui semble avoir été composé sur l’instant. Est-ce là la façon dont s’adressent les hommes d’église, de nos jours ? Je le dévisage, comme je dévisage le rouquin, semblant tout aussi perdu que moi.

Je crois que je vais m’en aller sans demander mon reste et aller assassiner l’élève qui m’a rapporté cette part de tarte à la cerise.

Je commence à reculer, discrètement, très discrètement… Une attention toute relative pour ce qu’il se dit. Je tique pourtant en entendant le pseudonyme du loup qui me fait penser à ce K gravé sur le canon de son arme et un peu plus encore quand je pense comprendre ce qui lie les deux hommes. Je murmure alors, de la moquerie coincée sur un sourire mutin : Je pense comprendre pourquoi tu es un homme si pieux, Aedan. Prier l’absolution auprès de son amant prêtre doit être agréable.  

… Surtout s’il sait déclamer des choses si vraies. Je reviens sur mes pas, papillonnant des yeux, au moins celui-ci n’est décidément pas aveugle, ni mal habile de la langue s’il sait susurrer de si merveilleux vers. Quelle charmante attention vraiment, oh et quelle verve ! Et conquis(e) que je suis par de si jolis mots, j’oublie presque instantanément mes envies de fuite. Je me dirige lentement vers le bassin désigné plus tard, alors que mon comparse d’infortune se rue, persuadé que ce jacuzzi « sacré » soit le remède. Je le laisse s’arroser, tel un chiot à qui l’on donne le bain, le nez froncé et la bouche grimaçante d’imaginer que ce qu’il boit a pu être touché et souillé par des milliers d’inconnus.

C’est alors qu’il se tend, presque, presque littéralement. Et soudain tout ceci se transforme en film pour adulte étrange, je penche la tête, comme si je le voyais dans une langue étrangère, les yeux plissés. Lorsqu’il hurle à la jouissance, la bouche exsangue et belle et bien offerte à dieu, je me dis que je pourrai presque croire qu’il s’agisse d’un rêve. Un rêve érotique très étrange mettant en lumière des envies incongrues…

My heart sounds like Shia LaBeouf ••• … Et en fait, non.  

Je crois que je vais vraiment m’en aller d’ici. Le laisser hurler à la mort s’il le souhaite, mais c’est trop pour moi. Vraiment trop. Et sa peau devient rouge, comme dévorée par un brasier invisible, j’effectue de nouveaux quelques pas en arrière, le nez agressé par des effluves de citron et de reflux gastrique.

– Je crois que je vais m’en tenir là...

Hors de questions que je boive ne serait-ce qu’un peu de cette horreur, hors de question que je touche cette horreur. Hors de question que je m’approche d’Aedan et de son corps cramoisie et presque purulent. Hors de question. Hors de question. Hors de question. Je me mets derrière le prêtre – quel que soit ce dieu vengeur, j’imagine qu’il ne menacerait pas l’une de ses ouailles.

– Il semble avoir besoin de ton aide, joli poète.

Et quand ils n’y regarderont plus moi je serai déjà loin, puisque ici tout le monde déraille.