musique - Minuit douze.

Face à toi s’élève l’image de la lumière Céleste. L’Amour et le Pardon.
Dieu.
Une drôle de farce quand n’importe qui peut jouer ce rôle - armé d’un poignard ou d’un fusil, c’est tellement simple. Tes yeux s’abandonnent sur les cierges qui t’entourent. Jusqu’à maintenant, tu n’as jamais cru à la sérénité que pouvait apporter un édifice religieux. Mais il est vrai qu’au beau milieu de cet enclos de pierres et de vitraux, tu parviens à trouver un semblant de paix intérieure.

Te voilà assis au milieu de l’autel à contempler la grandeur la cathédrale depuis pas loin d’une heure. Tu avais patiemment attendu que les fidèles s’adonnent à d’autres activités miséricordieuses et quittent les lieux pour t’en emparer.

D’un sourire presque fissuré tu regardes tes mains, meurtries. Ton torse nu, meurtri. Tes jambes, meurtries.
Le son des lourdes portes de bois te ramènent à une réalité plus sévère.

« J’ai cru que tu ne viendrais jamais. »

Tu te retournes vers la grande allée, abandonnant à tes pieds ton t-shirt. « Azraël. » Dis-tu.

Tu n’avais que ce prénom en tête depuis des jours. C’en est devenu une obsession malsaine comme tu as déjà pu l’expérimenter avec tes victimes. Pourtant, Azraël est bien loin du statut de victime. Bien au contraire, il est le marionnettiste. Le coupable. Cette étrange attraction t’anime. À quel étrange jeu t'adonnes-tu désormais, Sixte ?

Tu écartes les bras, avant d’enchaîner :

« Regarde ça. Tu es vraiment, vraiment un homme efficace. »

Plein de sarcasme et dans un rire étouffé, tu lui présentes tes côtes, gravées à tout jamais d’un A dont tu ne pourras jamais te débarrasser.

Jamais.

bad omen

lacie - minuit, et des poussières.
il t'arrive de te rendre à l'église, après un mauvais rêve - venir chercher sur les parvis du seigneur la paix et le silence que le sommeil ne t'accorde plus depuis longtemps ; t'endormir, enfin, sur les bancs de pierre - protégé par les saints. enfant chéri : âme damnée. une pièce truquée, aux deux faces perdantes - minuit, quand tu pousses les lourdes portes de hêtre, pénètre le sanctuaire des plus dévots et des plus tristes : ce soir, tu n'es pas seul.

j'ai cru que tu ne viendrais jamais.
ton prénom dans sa bouche, prend des accents tragiques ; tu savais qu'il viendrait à ta rencontre, tôt ou tard, si tant est qu'il n'ait pas été mis en pièces. sixte, installé sur l'autel, comme une image pieuse ; le tableau de son corps, écarlate à la lumière des cierges. regarde ça. tu es vraiment, vraiment un homme efficace. son rire te ferait presque chaud au coeur s'il n'était pas triste à en pleurer ; c'est dommage, quand tu y penses. tu n'étais pas si loin d'avoir de l'affection pour sixte - sixte, comme un grand brûlé ; sur sa peau, un A vermeil. un souvenir boursouflé : un avertissement, tu présumes. ça t'arrache un froncement de sourcils : tu pensais pourtant avoir été suffisamment clair - de telles violences, à tes yeux, manquent cruellement d'élégance.

tu t'es approché ; au fond de toi, tu sais pertinemment qu'il est venu chercher vengeance, mais tu ne peux pas te résoudre à l'abandonner dans cet état - dont il te considère, sans doute, partiellement responsable. tu es loin d'être innocent, bien sûr ; mais tu n'aurais jamais levé la main sur lui - jamais manié le fer. tu n'es pas ce genre d'homme - pas ce genre de monstre. tu lui adresses ton sourire le plus chaleureux ; cette franche camaraderie viendrait presque te manquer, quand tomberont les masques.

- tu aurais pu venir dans l'après-midi, ça t'aurait évité d'attendre. un rire : et son écho, entre les voutes. comment lui dire ? tu sais, sixte... un pas de plus. il aurait suffi que tu me dises la vérité. que tu me dises ce qu'exactement je cherchais à défendre. quelqu'un devrait bander ses plaies ; soulager sa brûlure. je ne condamne pas les actes. seulement le manque d'honnêteté. prédicateur, abdicateur ; miséricorde. pour ce que ça vaut, j'aurais préféré qu'il ne te fasse pas souffrir. je ne suis pas friand de douleurs inutiles.

musique - En toute honnêteté, tu t’attendais à un rire qui fait froid dans le dos, des vérités cinglantes et un regard dénué de pitié. Pourtant, Azraël ne t’offre rien de tout ça : de ses mots à son regard, rien ne change. Le voilà authentique et véritable, le même lui que sous la lumière d’une boîte de nuit, le même lui assis à tes côtés sur ton lit à écouter tes inquiétudes. Viens-en à l’évidence, Sixte, tout le monde ne porte pas un masque pour couvrir ses vices. Certains n’ont pas peur, certains les dévoilent sans une once d’hésitation.

Mais pourtant, cela n’a de cesse de t’agacer. De t’énerver. Ton regard s’enflamme mais tu parviens à intérioriser toute ta rancoeur. Tu ne sais même pas contre qui être en colère : lui, pour t’avoir si bien manipulé, ou toi, pour t’être si bien trompé. Tu baisses le bout du nez, déçu, désarmé.

« Aurais-je dû venir à toi et te dire sans honte que je fais parti des pires ? »

Tu te redresses, affrontes son regard pour la toute première fois.
C’est vrai ça, tu ne l’avais jamais regardé droit dans les yeux.

« Que mon plaisir coupable était de pousser les plus faibles au suicide et de me le montrer ? De tourmenter ceux qui n’ont plus de ressources ? Les tuer sans me salir les mains ? Être fasciné par la mort tant qu’elle ne m’atteint pas ? »

En lâchant un rire entre tes dents, tu passes une main dans tes cheveux.
C’est la première fois que tu avoues tes crimes. Même au tribunal tu n’en avais pas fait autant tandis que les parents des victimes, dans ton dos, pleuraient et s’enrageaient. Tu as plaidé non coupable, prétendant avoir juste voulu être leur cher ami. Le pire dans cette histoire, c’est que tu as aussi éprouvé du plaisir à détruire des familles entière qui ne pouvaient ni te toucher, ni te tuer, ni proprement se venger de la mort de leur progéniture. Dommage.

« Je ne t’ai rien dit parce que je te voulais. »

Tu n’as plus rien à cacher désormais. Tu t’es rendu à l’évidence : tu n’atteindras jamais ton but premier.

« Je voulais me rapprocher de toi pour devenir toi.
Il me fallait du temps, gagner ta confiance, devenir ton ami. Découvrir ton histoire, tes péchés. C’était un nouveau challenge pour moi. Car tu n’es pas à ma merci, tu es malin et tu n’es pas affaibli. Mais je serais devenu un vampire et j’aurais porté ton nom fièrement. Plus que Sixte. » Soupire. « Sixte était faible, pleurnichard. Solitaire. Dépendant. Il avait toujours besoin d’aide, il avait toujours peur, il avait toujours besoin de sa mère. C’était un gosse de riche, pourri gâté mais qui ne voyait pas le futur. »

Ton regard s’arrête sur tes mains. « Ca m’a pris deux semaines pour le pousser à s’ouvrir les bras. Deux semaines, seulement deux semaines ! Mais j’aurais dû en choisir un plus fort. À la place, j’ai dû faire semblant. Semblant d’être pathétique et dépendant aussi. » Avant de reposer ton attention sur Azraël. « Mais je suis fatigué. Alors, appelle moi Jude. C’est mon vrai nom. Ma vraie identité. »

nox aeterna

www - sa confession, face à la croix, prend des allures de miracle.
azraël, thaumaturge : tu l'écoutes sans fléchir, face à l'envergure colossale de ses pires travers - ses yeux dans les tiens, et tes mains jointes, pieusement. tu sais d'expérience que le silence fait office d'absolution ; on trouve, entre les mots, bien plus que le pardon. je ne t'ai rien dit par ce que je te voulais. je voulais me rapprocher de toi pour devenir toi.

comédie, tragédie ; des jeux d'acteur, vraiment. un spectacle à l'échelle de la vie, de la mort - celle de ces existences fauchées, volées, réorientées. et dire que tu t'étais sincèrement demandé ce qu'il cherchait à obtenir de toi ; tu vois bien, à présent, que tu étais très loin de la vérité. alors, appelle moi jude. c’est mon vrai nom. bien sûr : la grande traîtrise des évangiles canoniques - trente pièces d'argent pour son âme. d'amitié et de tromperie, indissociable : un adéquat baptême, l'eau sacrée sur ses joues.

tu franchis résolument les quelques mètres qui vous séparent, vient l'étudier de plus près - ses traits, mis à nus, ont quelque chose du reptile. évaporé, le costume d'innocence, les tournures maladroites : un glaive, hors de son fourreau. son illusion te manquera : elle avait, au bout du compte, quelque chose de réconfortant. oseras-tu, maintenant, lui tourner le dos ? tu n'en es plus tout à fait sûr.

- je te voulais aussi, jude une moue affligée ; mais ta voix est atone. je te voulais parmi les fidèles qui viennent s'épancher, tous les jours, sur ces bancs. tu viens effleurer le bois du pupitre du bout des doigts. je voulais être ton ami, parce que je voulais être ton sauveur. je voulais que tu m'appartiennes. pas seulement à moi, bien sûr, un léger rire - de l'amertume. les desseins de l'église... non, tu t'arrêtes, te corriges : s'il faut être honnête, je n'ai que faire de l'église. les desseins de jezebel, plutôt. de darkcry. c'est plus grand que moi, que mes caprices. tu le toises de haut en bas. ça fait longtemps que je suis mort, jude. quand bien même tu m'aurais tué, ça n'aurait pas changé grand chose. tu ne souris plus - à quoi bon ? c'est un échec et mat, d'un côté et de l'autre. mais quand bien même, je suis certain que tu m'aurais fait honneur. tu es presque tenté de lui faire cadeau de ton nom véritable, en guise de lot de consolation - mais non, ça non plus, ça ne t'appartient plus. c'est à elle. mais si tu veux tant être fort... qu'est-ce qui t'en empêche, vraiment ?

musique - Deux mensonges, une vérité.
Le souvenir presque sucré de cette soirée refait surface. Tu parviens à cacher ta satisfaction : tu avais raison. L’église n’est rien pour lui, ou tout du moins, pas de la façon dont il le prétend. Azraël n’est pas tout à fait un imposteur, c’est un parasite. Il grandit, évolue dans un hôte avant d’en prendre les rênes. Mais jusqu’où ira-t-il ? Une partie de toi avoue qu’il est bien plus plaisant de ne pas être allé au bout de tes désirs pervers car ta curiosité ne sera satisfaite qu’en voyant les réelles convictions de cet étrange personnage.

Tu aimes penser que, dans une autre vie, sous un autre soleil, sous une autre lune, sous un autre dessein, vous auriez pu rire sans cacher vos vérités. Avoir un ami, un concept abstrait dont tu avais la sensation d’avoir découvert les prémices un drôle de soir. Et si seulement, Jude, si seulement tu ne t’étais jamais laissé dévoré par ça. Peut-être que oui, en effet, tu aurais pu être l’ami de quelqu’un.

« Je crois que tu n’as pas très bien compris. »

Tu lui tournes le dos, peu hésitant, remontant la dernière marche de l’autel pour prendre un cierge dans tes mains. Les yeux rivés sur la flamme dansante, tu dis :

« Je ne t’aurais jamais tué. » Tu reviens face à lui et mets la bougie entre vos deux visages. Ses yeux sont tellement rouges que tu peux y voir nettement la lumière agitée au bout de sa mèche. « Je t’aurais juste guidé pour t’éteindre de ton propre chef. » Et tu souffles. La lumière devient fumée, un fantôme du passé.

« Je ne serais pas fort, je ne suis pas un idiot. Je suis humain, sans pouvoir, sans réelles ressources. C’est un fait que je ne peux nier. Tous ces ecchymoses n’appartenaient pas au mensonge, c’étaient la véritable preuve de mon incapacité. »

Tes doigts glisses sur la surface de la lettre qui trône peu fièrement au beau milieu de tes os. La douleur est toujours vive, mais elle est dans tête, très probablement. Tes doigts en tremble, toi devenu l’animal d’un autre. « Cette marque est la preuve de ma faiblesse. » Murmures-tu, honteux.

Derrière toi se dresse une grande statue du Christ crucifié. Tu te rappelles maintenant qu’une de tes anciennes identités était profondément croyante et cela t’avait coûté à t’intéresser un peu à la religion. Tu regardes cette figure de haut en bas avant de t’en approcher, de poser tes mains sur ses genoux de bronze et ta tempe contre sa cuisse. « Je crois que dans le fond, je suis effrayé à l’idée de rejoindre vos rangs. À vous, les morts. Qu’il me faudrait une pulsion, un peu plus de courage. » Tu souris. « Car ce serait un nouveau départ. Un nouveau Jude. » Le regardes. « Azraël, deux mensonges, une vérité. Non ! Deux mensonges, deux vérités. » Silence.

« J’ai peur de toi.
J’ai peur de mourir.
J’ai peur de moi.
Je t’ai porté dans mon coeur, avec sincérité. »

nox aeterna

www  
quand bien même tu serais mort, aurait-il réellement pu mettre son plan à execution ? plus tu y penses, et moins ça te parait plausible - dedale n'est pas si vaste, et sur l'île, nombreux sont ceux qui connaissent ton visage ; il t'apparaît soudain qu'il n'est pas complètement impossible que jude n'en ait aucune idée. la vérité, c'est que tu ne lui as jamais dit qui tu étais exactement : tout ce qu'il sait c'est que tu fais partie de l'église, comme autant d'autres - tu serais prêt à parier qu'il n'a jamais mis les pieds dans la cathédrale auparavant, et en conséquence, comment saurait-il ? tu t'es forgé un nom, ici ; une réputation, une influence. un imposteur aurait tôt fait d'être démasqué - et, immédiatement, éliminé. jude, sa tête blonde et son corps fluet, ses yeux si clairs : il n'aurait pas survécu plus d'un quart d'heure dans ta peau. il aurait suffi à jezebel de lui jeter un coup d'oeil, et ç'aurait été fini aussi vite que ça a commencé - sans éclat, mais sur un cri plaintif.

tu écoutes ses jérémiades sans sourciller - ça te ferait presque de la peine, si tu étais réellement capable d'empathie ; cette lettre, gravée dans la chair, semble rougeoyer à la lumière des bougies. A ; attentat, affliction, azraël. tu sais pertinemment qu'il n'y a pas grand chose à faire - il n'existe rien de plus permanent que les dégats du feu. la seule option viable qui te vient à l'esprit consiste à brûler ce qui lui reste de son flanc ; un triste camouflage. tu n'es pas certain qu'il apprécierait particulièrement ta proposition. tu restes muet. je crois que dans le fond, je suis effrayé à l’idée de rejoindre vos rangs. qu'il me faudrait une pulsion, un peu plus de courage. il s'est approché du joyau central de la cathédrale : jésus christ, sur sa croix - une masse colossale de bronze, aux traits apathiques. azraël, deux mensonges, une vérité. non ! deux mensonges, deux vérités. un écho d'un temps qui déjà, te paraît révolu ; l'heure n'est plus aux jeux adolescents, aux joies enfantines. tu peux bien t'y prêter une dernière fois - en mémoire de l'embryon d'une amitié, des alliances impossibles. si vous aviez été autres ; si vous aviez été honnêtes.

- allons bon, un demi-sourire, absent ; tes yeux dans le vague. je vais répondre point par point, veux-tu ? tu ouvres ta main ; quatre doigts. pourquoi aurais-tu peur de moi ? si j'avais voulu te faire du mal, tu ne serais pas là ce soir. d'une manière ou d'une autre. trois. celle-ci est facile. nous avons tous peur de mourir. toi, moi, le loup, tout le monde. s'il existe un point commun entre nous, c'est certainement celui-ci. tu ris d'un rire qui fait froid dans le dos. deux. je peux admettre que tu aies peur de toi-même. après tout, tu es de loin ton ennemi le plus acharné tu t'avances, encore un peu plus - mais tu ne le regardes plus. un.et quand bien même je donnerais cher pour te croire, jude... je ne suis pas certain que tu aies un coeur. une pause. cependant, il en va de même pour moi.

musique - Azraël est malin et même si tu n’as pas eu l’occasion de le voir souvent à l’oeuvre, ses yeux ne cessent de briller de malice.
Il faut te l’avouer ; tu es bien impressionné. Tandis que plus d’un aurait été dans une colère noire en apprenant que tu t’apprêtais à les pousser au suicider, lui, ne cille qu’à peine. Point par point, il donne ses réponses, et il touche juste, ou presque. Sa dernière phrase te va droit au coeur et t’arrache un sourire qui, malgré les apparences, est sincère. Tu hausses les épaules et soupires. Dans une autre vie, tu l’espères, que vous seriez capables d’être un peu plus qu’un vampire et un humain aux intérêts louches.

Tu ramasses ton haut jonchant à tes pieds pour l’enfiler à nouveau, tu t’es bien assez donné en spectacle ce soir. Accordant un bref coup d’oeil à ton interlocuteur, tu ajoutes :

« J’ai un coeur, tu sais. Je déteste, j’aime. Je suis triste. Je suis heureux. Je ne peux pas aller à l’encontre de ma profonde nature, quand bien même j’essaye. »

Tu fermes les yeux presque solennellement avant de les rouvrir en direction du toit de la cathédrale à plusieurs mètres au-dessus de vos têtes. Arc-boutants, tribunes, arcades, toute cette architecture au service d’une religion dévorante te donne une sensation d’immensité. Et que tu n’es rien.
Tu reviendras ici, sans nul doute. Pour te rappeler qui tu es.
Ce que tu es.

« Tu as raison sur la plupart des points. Sauf le dernier, en partie. » Tu reposes ton attention sur Azraël. « Je me suis vraiment bien amusé avec toi. Dans un autre contexte, j’ose espéré que nous aurions pu être au moins amis. » Un énième sourire se greffe sur ton visage.

« Je t’aimais plutôt bien. » Dis-tu avec un maigre embarras.

Tu t’éclaircis la gorge. Tu ne peux t’empêcher de te sentir soulagé, maintenant que tu es libéré de tes mensonges. « Maintenant je dois retourner régler mes propres problèmes. Je ne suis pas sûr d’être encore vivant demain alors… » Tu lui tends la main.

« Sans rancune.
Adieu. »

nox aeterna

www - cela fait longtemps maintenant que tu n'as plus d'amis.
depuis katrina, tu supposes - aux aurores de vos amours, tu t'es replié sur toi-même, ou plutôt autour d'elle, de ce sentiment intense et nouveau, précieux et fragile. tu réalises en retrospective qu'à l'époque, tu agissais comme le dernier des imbéciles ; il n'y existait plus rien au monde capable de t'apporter de joie, à l'exception de ses caresses, de ses lubies. entre ses bras, tu pensais n'avoir plus besoin de personne ; adieu, tes amis d'enfance et tes camarades de lycée, adieu tes collègues, adieu, l'appel bi-mensuel à ta mère - katrina jouait les jalouses, et tu n'y voyais que du feu ; pire, tu t'immolais. il te fallut moins de trois mois pour te retrouver seul avec elle - seul, tu le sais maintenant, au monde. après l'incident - tu n'as jamais pu te résoudre à décrire les évènements d'une quelconque autre manière - plus personne au monde ne s'inquiétait de toi ; c'est sans prévenir qui que ce soit que tu as traversé la frontière russe, que tu t'es enfoncé sur les territoires de la sibérie. je t'aimais plutôt bien.

il se rhabille, et enfin, tu détournes les yeux - il y a quelque chose de plus intime dans l'acte de cacher ses blessures que de se dénuder, il te semble ; ça a quelque chose d'intimement pathétique, comme un animal souffrant. tu le laisses venir à toi, immobile - il a beau nier, tu restes convaincu d'avoir touché juste ; s'il lui reste bien un coeur, c'est un coeur malade, corrompu, décadent. on ne peut pas aimer avec ces choses là. je ne suis pas sûr d’être encore vivant demain alors… sans rancune. tu regardes la main qu'il te tend avec intérêt - tu ne pensais pas qu'il s'en irait de si tôt ; il n'a pas trouvé, sous la croix, ce qu'il recherche. pas de vengeance, pas de pardon ; pas de nouvelle chance. tu secoues la tête, presque tristement.

- non, pas tout de suite, pas encore. tu affiches une moue désolée. je t'ai promis mon aide, et je t'ai déçu. mais je vais me racheter ce soir. tes doigts viennent effleurer les siens, en sentir la chaleur. ça te manquera, mais tu ne peux pas te permettre d'y penser. tu n'as pas de cran, jude. je le sais. tu es un lâche. il y a de l'affection dans ta voix - ce n'est pas de sa faute, après tout. pas entièrement. tu saisis son poignet. mais moi, j'ai du courage.

tu l'attires vers toi comme pour l'embrasser, le serrer contre ta poitrine comme une mère son enfant ; un geste précis mais tendre. il est frêle, contre toi - tu as l'impression qu'il tremble.
tes lèvres contre sa gorge, un premier baiser, dur et sincère ;
& tes canines s'enfoncent.

musique - Il se présente comme un guide face à toi. De sa voix sereine et réconfortante, tandis que tu t’attends à un adieu sans réelle saveur, Azraël t’offre un cadeau inattendu. Dans ses bras, tu aimerais y sentir une quelconque paix intérieure. Profiter du souffle chaud qui s’attarde dans le creux de ton cou, mais à la place, tu n’y sens que les crocs et leur venin te traverser le corps. Une course folle le long de tes veines s’active.
Pendant, un instant, tu restes silencieux, bien qu’apeuré. Tes mains se perdent contre ses omoplates, s’agrippent au tissu comme à ton dernier fil de vie. Tu serres les dents, fermes les paupières de toutes tes forces. Une douleur comme celle-ci n’a pas d’égale. Elle est langoureuse, poignante et surtout, terrorisante.

Alors, tu hurles. Le son de ta voix s’écrase contre la pierre et n’ont de cesse de se répéter encore et encore. Un cri piégé dans une boucle infini.
Tu le serres, encore, toujours un peu plus. Et peut-être que tu lui fais autant mal que tu souffres, mais tu ne le réalises pas.

Te voilà à la fin du premier chapitre de ta vie. Là où ta misérable existence s’arrête pour qu’une longue vie immortelle s’offre à toi : un rêve que tu as toujours voulu réaliser, comme un enfant. Ta fascination pour les vampires s'était toujours limitée à les regarder et à les envier, sans jamais te dire que demain tu pourrais marcher à leurs côtés, fièrement.

Ce que tu as toujours désiré, Azraël te l’offrait de bon coeur. Une éternité et une force sans pareille. Et pourtant, quel est cet étrange sentiment qui t’emporte, qui te serre si fort, si douloureusement ? Ce n’est pas la transformation, tu le sais, c’est quelque chose en plus.

Lorsque ses canines délivrent ta jugulaire, tu parviens à peine à le sentir. C’est comme si tes artères se gonflaient à bloc, que tes muscles se contractaient en même temps. Ta peau brûle, ton crâne explose, ta voix se casse dans une dernière complainte.

Puis, tu finis à t’accoutumer, quelques instants. Tu ne peux contenir une larme.

« Azraël… Pourquoi… ? »

Souffles-tu contre le col de son vêtement.

C'est vrai ça, pourquoi ?
Nous étions tout dans une drôle de mascarade, mais une fois les voiles arrachés, nous ne sommes plus rien. Tu aurais pu abandonner, Azraël. Tu aurais pu. Mais tu ne l'as pas fait.

nox aeterna

www - la saveur métallique de son sang, sur ta langue, te donne la nausée. tu as la faim vissée au corps - le désir viscéral d'en goûter plus, quelques instants à peine ; d'assouvir tes pulsions interdites, finalement. quatre ans que ça te ronge - quatre ans que ça te hante, que tu n'as mordu personne ; que tu t'es promis de ne plus recommencer.

ses hurlements déchirent le silence, envahissent l'espace - viennent mourir sur ses lèvres. il convulse entre tes bras ; t'enferme dans un étau de muscles épileptiques. tu ne cherches pas à te dégager : à voix basse, tu lui murmures des mots de réconfort que tu sais qu'il n'entend pas - une litanie douce et rassurante, comme une berceuse. tu voudrais lui dire que ça ne durera qu'un temps - que d'ici quelques jours, déjà, le souvenir se sera effrité ; que ce n'est rien d'autre que la chair qui meurt, que le corps qui lutte. les toxines, dans ses veines, font déjà leur effet - son visage perd visiblement de la couleur, même dans la semi-obscurité.

c'est un cadeau que tu lui fais ; empoisonné, peut-être, mais on ne refuse pas un cadeau. malédiction, bénédiction - qu'importe, après tout ? il voudrait être fort ; tu as exaucé son souhait. oh, azraël, faiseur de miracles - prestidigitateur. il gémit, maintenant - une plainte basse et bouleversante, qui te prend aux tripes ; tu voudrais lui dire, oui, que tu sais exactement ce qu'il ressent, que toi aussi tes os se sont brisés les uns après les autres pour mieux se reconstrire, que tes membres se sont nécrosés, que tu t'es senti consumé par des flammes invisibles - un venin infernal qui vient arrêter le coeur. à quoi bon, pourtant ? la commisération de l'un ne réduit pas les souffrances de l'autre. tu te laisses glisser au sol, l'entraînant dans ta chute, contre le marbre - tu le berces, comme un enfant, comme un amant ; une main pressée contre son cou pour cacher sa blessure, assourdir tes instincts. une larme vient couler sur ses joues blanches. azraël, pourquoi ?

- tu ne voulais pas être faible, jude. tu viens écarter une mêche de cheveux de son visage, délicatement. tu ajoutes, simplement : et maintenant, tu ne l'es plus. tu ne le seras plus jamais.

musique - À l’image de la Pièta, Azraël te berce dans le creux de ses cuisses tandis que son regard alangui se porte sur ta misérable condition, qui se meurt contre lui sous la lumière nocturne de la Cathédrale. La douleur est toujours là, mais elle te fatigue plus qu’elle ne t’achève. Tu sens tes forces te quitter et tu te demandes si tu pourras même marcher après. C’est comme goûter à la mort, langoureusement, tout doucement. Ton corps s’abandonne tandis que ton âme persiste. Ton coeur, parfois s’emmêle, parfois s’arrête.
Pendant ce temps, celui qui t’a façonné à son image dit qu’il a simplement voulu te rendre fort. Pour l’éternité.

C’est vrai ; tu ne seras plus faible - mais à quel prix ? Quand Azraël viendra à ta rencontre en te rappelant qu’il a fait de toi ce que tu seras demain ? Ou t’oubliera-t-il une bonne fois pour toute, comme un vieux chapitre ?

Tu fermes les yeux, et souris. Dans ta peine, oui, tu parviens à sourire.

« Je n’ai jamais voulu être comme ça. » Avoues-tu à mi-voix. « Je ne sais pas comment sont nés mes vices, ni pourquoi me manipulent-ils. Ou pourquoi je les laisse me manipuler avec plaisir. »

Un peu plus blotti contre lui, le nez fourré dans son vêtement, tu songes à t’endormir. Mais il y a des choses qui te gardent éveillé, alors, tu dis :

« Que s’est-il passé quand tu t’es transformé ? »

nox aeterna

www - tu pourrais te lever et partir.
rentrer chez toi, l'oublier - effacer de ta mémoire son corps chétif, tordu par la douleur, et sur son visage l'expression de ta traîtrise ; mais tu as conscience qu'il n'y survivrait pas. dès l'aube, la cathédrale commencera à se remplir - impossible de savoir qui pourrait le trouver là, agonisant sur les marches de l'autel, impossible d'anticiper leurs intentions ; même entre les bras de dieu, certains n'hésitent pas à s'adonner à des jeux sanguinaires. il n'existe pas de moment plus opportun pour en finir avec un vampire qu'aux prémisses de sa transformation - et tu sais bien que jude a le don d'exciter les passions les plus dangereuses ; combien saisiraient l'occasion d'en finir une bonne fois pour toutes si elle se présentait ? tu pourrais te lever et partir, oui, mais même toi, tu n'es pas si cruel - ce serait pire qu'une mise à mort, aussi certain qu'une balle dans la tête. tu as pour devoir de le sortir d'ici, de l'emmener en lieu sûr - pour cette nuit, au moins, n'importe où ailleurs. je ne sais pas comment sont nés mes vices, ni pourquoi me manipulent-ils. ou pourquoi je les laisse me manipuler avec plaisir. grand bien t'en fasse - tu n'as que faire de ses explications, ou en l'occurence, de leur absence. ça ne change rien à ce qui est certainement toujours dissimulé dans son ordinateur - ces silhouettes d'outre-tombe, exsudant la terreur par tous les pores de leur peau, animées par des desseins monstrueux. il faut bien mourir de quelque chose, dit-on. que s’est-il passé quand tu t’es transformé ?

près de cinq ans, maintenant - cinq ans depuis que ces crocs sont venus déchirer ta chair, te réduire en pièces. un souvenir écarlate, aux allures de cauchemar - il t'aurait tué, certainement, s'il en avait eu le temps ; vidé de ton sang sur les pavés. tu avais rampé jusqu'à la maison, hagard et désorienté, ton corps en feu - incapable de mettre un mot sur ce que tu avais entrevu dans ces yeux rouges, sur la plaie à ton cou, sur ton besoin viscéral et quasi-immédiat de mordre. tu avais passé près d'une semaine cloué à ton lit, fiévreux et incohérent - & katrina, à ton chevet, désinfectant tes blessures. tu ne peux pas te permettre d'y penser.

- je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, tu réponds sombrement. ça me semblait absurde. au tout début, je pensais que j'allais finir par me réveiller. tu essayes un rire - mais ça sonne faux. je pensais que j'avais été contaminé par un virus étranger particulièrement violent. quelque chose qui finirait par sortir de mon système. que je pourrai recommencer à vivre normalement. ta mâchoire se crispe. vraiment, tu n'aimes pas y penser. je n'attaquais personne, bien entendu. je continuais à me nourrir normalement, mais la faim était insupportable. c'est le plus difficile, les premiers jours. respire, azraël ; c'est fini maintenant, ça fait longtemps que c'est fini. je suis retourné travailler quand même. des factures à payer, des frais, aussi, pour la cérémonie. j'ai essayé de toutes mes forces de lutter, vraiment. je pensais avoir réussi. tu cherches des yeux l'îcone de la vierge, endormie - délivre-moi du mal. mais au bout du compte, on ne gagne pas à ce jeu-là.

musique - Plus il parle et plus tu redoutes l’apogée de ta transformation. Azraël en parle comme d’un souvenir douloureux à l’image d’une maladie mortelle. Qu’il a eu beau lutter, chaque effort fut vain. Alors tu en viens à te demander s’il a toujours voulu être un vampire ou si cela n’a été qu’un enchaînement de conséquences inattendues.
Tu n’oses pas poser les questions fatidiques pour assouvir ta curiosité : quel a été ton premier repas de mort ? Etait-ce bon ?
Quelque chose te dit qu’il y a des limites à ne pas dépasser avec lui. Il est comme un océan. Non, comme une vague. Si délicate quand elle s’approche mais si violente quand elle s’écrase sur la roche. Tu ne prendras pas le risque de provoquer qui ce soit ce soir, tu n’es définitivement pas en état d’encaisser les coups.

« Je vois. » Dis-tu presque solennellement. « Je vais essayer d’apprécier mes dernières heures en tant qu’humain maintenant. »

D’un soupir, tu prends appui sur le sol pour te hisser, t’accroches à la colonne la plus proche. Et tous tes muscles se contractent. Tu grimaces, mais tu devras t’y faire. Tes doigts s’abandonnent dans le creux de ton cou, à la naissance de ta damnation.

« Merci, Azraël. J’imagine que je te revaudrai ça un jour. Sur ce… »

Tu ramasses ta veste abandonnée devant les marches - ton dos craque. Tu pousses une plainte de grand-père et lâche un « Oh pu… tain ! » Au beau milieu de l’allée avant de quitter les lieux, définitivement peu fier de ton état actuel.

C’est parti pour des jours de souffrance dans la joie et la bonne humeur.

nox aeterna